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Résistances au changement
Résistances au changement, enjeux sociopolitiques et poids de la tradition
Pourquoi est-il si difficile de réformer les programmes scolaires ?
le 07.01.16
Les nouvelles idées de l’équipe du ministère de l’Education nationale se heurtent parfois au poids de la tradition et à des enjeux sociopolitiques à peine voilés. «J’ai été choqué de retrouver un ouvrage du ''socialiste'' Rachid Boudjedra dans la bibliothèque scolaire, sachant pertinemment ce que ce livre contient dans l’une de ses pages. Comment voulez-vous que l’école avance si l’on enseigne ces âneries à nos élèves ?
Vouloir enseigner ces auteurs à nos élèves me fait penser qu’il est des fois où le remède est pire que le mal», disait, lors d’une rencontre consacrée à «La place de la littérature algérienne contemporaine à l’école» l’un des inspecteurs de langue arabe, les mains tremblantes de colère. Face à lui, les représentants du ministère serrent les dents. Il faut dire que depuis que la ministre de l’Education a pris les rênes du secteur, ils ont été confrontés à plusieurs formes de résistances. Farid Benramdane, conseiller de la ministre et éminent chercheur, voit derrière ces oppositions des enjeux sociopolitiques à peine voilés.
Prenons l’exemple du texte argumentatif absent jusque-là des manuels de langue arabe : «Si je n’introduis pas le texte argumentatif de la première année à la terminale, explique M. Benramdane, c’est qu’il y a des enjeux cognitifs liés à la façon de réfléchir. La méthode traditionnelle dans laquelle l’argumentation n’a pas sa place s’accommode très bien avec l’ordre établi. Il ne faut pas se faire d’illusions. Le texte argumentatif est interdit dans certains pays car il s’agit du commerce de l’intelligence», tranche-t-il. Il y a, selon ses propos, deux types d’approches, l’une traditionaliste basée sur le parcœurisme, et une autre porteuse de sophisticité dans ses objectifs et dans ses procédures.
Le chercheur a identifié trois types de réactions. Il y a, d’abord, les réactions épi-didactitiques des principaux acteurs liés notamment au poids de la tradition. Ce sont, en gros, tous ceux qui proclament vouloir dispenser leurs cours comme l’ont fait leurs professeurs avant eux, rejetant en bloc toute nouvelle proposition. Farid Benramdane cite notamment des profs de langue arabe qui s’insurgent en entendant dire que la langue nationale est une matière à échec. «Quand, affirme-t-il, on discute avec ce genre d’enseignants, ils font un repli identitaire : la langue arabe avant tout !» disent-ils.
Devant les statistiques réelles montrant que la langue arabe est une matière à échec, ils répondent : «Comment osez-vous dire cela de la langue officielle et celle du saint Coran ?» Les résultats des examens de langue arabe sont pourtant d’une clarté désespérante : Adrar, wilaya reconnue comme arabophone, a une moyenne ne dépassant pas les 4,87/10. «Comment une wilaya plutôt arabophone peut avoir une telle moyenne en langue arabe ?» s’interroge M. Benramdane. Force est de reconnaître cependant que les chiffres de la maîtrise de la langue de Molière à l’école ne sont guère plus réjouissants, même si les crispations sont moins présentes et que son enseignement puise plus facilement dans le domaine de la science du langage et de la cognition.
Pour comprendre les raisons de la débâcle, il est nécessaire de se pencher sur la manière dont les programmes ont été élaborés ainsi que sur les méthodes d’enseignement utilisées. «Quel est le rapport entre les langues et les enjeux sociopolitiques ? Ma langue, selon Jacques Berque, ne sert pas seulement à dire, mais elle me sert à être. Il y a des enjeux sociopolitiques qui sous-tendent la manière d’enseigner. Quelle est la place de la langue arabe dans son statut de langue véhiculaire ? La langue arabe ne joue pas toute seule, en Algérie ou ailleurs. Comment se fait ce jeu concurrentiel ?» interroge M. Benramdane.
Or, tout est fait pour que les choses restent en l’état. «Dans la ''Ataba'', glisse Farid Benramdane, le seuil des cours sur lesquels les questions des examens sont axés après de longues grèves des enseignants, on retire justement en philosophie, par hasard, le soufisme. Il y a des enjeux, il ne faut pas être naïf». Les programmes scolaires, tels qu’ils ont été mis en place, pourraient aussi expliquer le rejet - et parfois l’ennui - des élèves. «Les travaux de Hassan Remaoun, chercheur au Crasc, l’ont prouvé : ce qu’il y a le moins dans les programmes d’histoire en Algérie, c’est l’histoire algérienne», lance le conseiller de la ministre.
Il y a, en second lieu, «l’attitude instrumentaliste» de certains acteurs qui consiste à tenir un discours d’apparence moderniste, mais qui ne fait, dans le fond, que reproduire des pratiques anciennes. «C’est, explique-t-il, un comportement qu’on trouve aussi bien dans l’éducation que dans l’enseignement universitaire, une tendance qui veut se recycler sans se former. Elle est dangereuse parce qu’elle tient un discours d’apparence moderniste : on y parle d’approche par compétence, de cognitivisme, de socio-cognitivisme, de constructivisme. Mais, en réalité, ils reproduisent des pratiques anciennes. Ils n’opèrent pas une rupture épistémologique et méthodologique. Quand vous discutez avec eux, ils font un repli disciplinaire. Au-delà de leur spécialité, ils ne peuvent pas discuter.
Ce sont, en gros, des inspecteurs de physique qui se prennent pour des Einstein et des profs de français se prenant pour Saussure. Ils n’arrivent pas à supposer qu’il peut y avoir un statut unitaire du savoir, un soubassement commun cognitif». Enfin, le département de l’éducation dit vouloir encourager une attitude plus empirique, ayant la conviction que l’université et l’école doivent former des cadres supérieurs ayant une fonction critique, éthique et scientifique, la capacité d’anticipation et l’excellence dans les langues quelles qu’elles soient.
Amel Blidi
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Commentaires
1الدراسة في الجزائرDimanche 25 Mars 2018 à 00:53Répondre
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